Actualités 2018

Ma Ngom ou l’unité africaine sur les remparts d’Essaouira

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Au coeur de la cité d’Essouira, l’ancienne Mogador, où les arabophones, les berbérophones et le peuple des Gnaoua, groupe métissé entre l’orient et l’Afrique noire, vivent ensemble, on trouve également une petite communauté sénégalaise qui s’est installée dans cette ville atlantique balayée par les alizés et qui est un véritable carrefour culturel et artistique au Maroc. Si cela est possible, c’est grâce à un homme très actif, volontaire et très impliqué dans l’intégration des populations sénégalaises à Essaouira. 

Originaire de Saint-Louis du Sénégal, Ma Ngom est arrivé au Maroc en 1996, après des études de lettres et de philosophie. Diplômé en gestion des entreprises, directeur en gestion hôtelière et polyglotte émérite, Ma Ngom est une figure importante à Essaouira, dans le monde du tourisme et de la culture. Membre du Comité Provincial du Tourisme d’Essaouira, il contribue activement au développement touristique de la ville et organise des rencontres sous le signe de l’échange culturel et humain. Car il s’appuie également sur l’histoire commune du Maroc et du Sénégal, tant d’un point de vue culturel, artistique et symbolique. 

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Mais son rôle le plus remarquable reste ses actions en faveur de la communauté sénégalaise. Président de l’association des Sénégalais d’Essaouira, Ma Ngom ne ménage pas sa peine lorsqu’il s’agit de favoriser l’émigration de ses compatriotes, d’accompagner les jeunes sénégalais à s’installer, en apportant son aide et son expérience pour l’obtention des papiers, pour engager les nouveaux arrivants à suivre des formations diplômantes, ou encore pour les accompagner à trouver des emplois. Cet engagement permanent fait de lui un citoyen à part entière et un homme très apprécié de la population sénégalaise d’Essaouira et très respecté de la communauté marocaine. 

E5c3165f 44cb 4802 a7ba d1bf27bdde17Homme de la libre pensée, Ma Ngom produit du sens humain sur cette terre culturelle où l’on œuvre pour l’unité africaine. En cela, Ma Ngom est un véritable artisan de la renaissance africaine et il démontre, par des actes concrets, comment faire pour rassembler les trajectoires plurielles. 

Amadou Elimane Kane, écrivain poète, enseignant et fondateur de l’institut culturel panafricain de Yene

Amadou Elimane Kane, invité spécial du magazine hebdomadaire Amphi FM sur Radio Chine

Le magazine hebdomadaire Amphi FM a invité Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant et chercheur, le 22 janvier 2018 pour un entretien de 45 minutes. Ecoutez l'émission ici : Amadou Elimane Kane, 22 janvier 2018, Amphi FM sur Radio Chine 

Aek 5"C'est à travers nos récits que nous construisons notre conception de l'univers", Amadou Elimane Kane 

 

Amadou Elimane Kane : "Nos qualités humaines et nos valeurs décident de notre destinée"

Cet entretien est publié dans le quotidien Le Soleil du 23  janvier 2018

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Ecrivain poète, enseignant et chercheur, Amadou Elimane Kane est l’incarnation d’une Afrique optimiste et fière de son passé, un continent qui retrouve peu à peu son lustre et qui regarde l’avenir avec l’œil de l’espérance. Actuellement au Sénégal pour une actualité littéraire, l’éditeur et fondateur de l’Institut culturel de Yène parle de sa démarche de travail pour clore le dernier volume de sa trilogie romanesque avec la parution prochaine de « Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil ». Les écrits d’Amadou Elimane Kane sont faits d’action et d’espérance. L’auteur voit en l’Afrique le continent phare du 21ème siècle.

Vous venez de terminer une deuxième trilogie romanesque, avec la sortie prochaine de votre nouveau roman « Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil ». En quoi consiste ce projet de trilogie littéraire ?
Après la première trilogie qui évoquait l’exil et l’importance de la transmission culturelle, je voulais aller plus loin et retracer des épisodes de l’histoire africaine qui me semblaient importants de révéler sous un autre angle. En bâtissant un cadre fictionnel, je voulais me réapproprier une histoire qui m’habite depuis plusieurs années, celle de la réhabilitation de notre réalité, de notre vérité historique.

Le premier volume de la trilogie est « Moi, Ali Yoro Diop ou la pleine lune initiatique ». Pourquoi cette histoire ?
Justement, ce récit a rempli l’imaginaire de mon enfance. C’est l’histoire d’un homme qui a grandi entre le Fouta et le Walo et qui s’est révolté contre la colonisation française. À travers les récits oraux et écrits, entre réalité, fiction et mythe, j’ai rebâti une narration qui me permettait de dire autre chose et d’évoquer l’histoire d’Ali Yoro Diop dans un contexte de résistance et de justice. Dans ma ville natale, j’entendais que cet homme était fou et nulle part, on ne trouvait la trace de ses actes qui, selon moi, sont héroïques. C’est cette volonté d’écrasement de l’histoire que je voulais transformer, redonner la parole à un être convaincu et engagé qui s’était battu pour la dignité africaine, et que l’on a, volontairement, enseveli. Tout le travail de déconstruction mentale de l’Occident a tellement desservi notre histoire que je lutte littérairement pour le contredire, compte tenu des convictions qui sont les miennes, l’idée qu’il faut réécrire notre récit pour retrouver toutes nos propres facultés culturelles et nos fondements originels. 
C’est, en quelque sorte, la déconstruction d’une déconstruction mensongère sur notre histoire.

Vous évoquez l’idée de décolonisation de la pensée pour le peuple africain... 
Oui, c’est juste. Je pense que nous devons nécessairement recouvrer tout le schéma culturel noir, notre histoire, notre pensée, nos croyances, notre imaginaire propre pour foudroyer toutes les couleuvres qu’on veut nous faire avaler. Je prends souvent pour exemple l’actualité politique où l’on voit et où l’on entend les dirigeants occidentaux, les Sarkozy, Macron ou Trump dire que l’Afrique, ou le monde noir, est un sous-continent, une culture arriérée, un détail de l’histoire. C’est absurde et insultant ! Comment au XXIe siècle peut-on dire encore des choses pareilles ? C’est non seulement intellectuellement malhonnête mais totalement idiot. Quand ces hommes parlent ainsi, ils déconsidèrent l’Humanité, ceux qui ont, à un moment, contribué à leur rayonnement. En faisant cela, ils décrédibilisent leurs paroles, leurs actes et leurs capacités à appréhender le monde en continuant à inventer un récit qui n’est pas le nôtre. C’est l’idéologie dominante, la pensée unique qui les guident, mais ce n’est pas la réalité africaine. Notre vérité historique et culturelle est immense au contraire, et nous sommes les bâtisseurs de l’origine du monde, de la cosmogonie et du savoir ancestral. C’est cela qu’il faut dire, qu’il faut rétablir; nous ne sommes pas des êtres vides, c’est impossible. L’Occident qui a résolu la technologie avancée moderne ne possède pas le monopole culturel. Il devra réapprendre l’Humanité et le partage; et cela viendra de la culture africaine !

Il y a ensuite « Moi, Rokhaya Diop ou la négresse fondamentale qui déplie le temps ». De quoi parle ce récit ?
Je voulais, cette fois, raconter un récit contemporain qui, même s’il est totalement imaginaire, incarne symboliquement les espérances de la jeunesse, et particulièrement celle issue de l’immigration africaine. C’est l’histoire d’une jeune femme née et qui a grandi en France, dont les parents sont immigrés du Sénégal, et qui, par son travail, sa persévérance, va accéder aux sphères les plus hautes de la République. En miroir, il y a l’histoire de son ami Lamine qui, lui, déstructuré par une famille fragile, suit une autre voie, celle de l’aliénation mentale, qui se traduit par une négation de lui-même et qui le mène sur un chemin dangereux et destructeur. En quelque sorte, il répond à l’idéologie qui envenime les rapports en Occident, la déconsidération de ceux qui viennent d’ailleurs par un comportement dévoyant la société. Par ce récit, je voulais dire qu’il n’y a qu’une seule voie pour « être », c’est celle de la confiance en soi, du travail, de l’acharnement et de ne jamais considérer que l’on est inférieur parce qu’on a la peau noire, jaune ou chocolat. Ce sont nos qualités humaines et nos valeurs qui décident de notre destinée. Je voulais transmettre un message d’espoir contre la haine et les barbaries qui prolifèrent.

On note la récurrence des titres dans cette trilogie qui s’annonce tous avec la récurrence « Moi, … Diop ». Pourquoi ce choix ? 
Ah, j’attache beaucoup d’importance aux titres de mes livres. Je suis poète et j’aime donner une existence aux mots. Par ces titres, je veux marquer les esprits et qu’il y ait une résonance commune, comme un récit qui s’annonce dès la première lecture, celle de la couverture. On m’a même reproché, en France notamment, le mot « négresse » que l’on a considéré comme dégradant. C’est absurde et c’est tout à fait le contraire dans ma démarche. Par ce mot, je souligne l’affirmation d’une identité, une image revalorisée, et un salut au grand Aimé Césaire à qui l’on doit l’invention du mot « négritude » que je me réapproprie dans notre contexte contemporain. Pour moi, cela fait un lien avec notre histoire littéraire et c’est très important dans le cadre de la continuité culturelle.

Quelle histoire évoque le dernier volume de la trilogie « Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil » qui va paraître prochainement ? 
C’est un récit qui alterne deux voix, deux espaces et deux époques. Celle d’abord de Makarra Silvio de Almeida, un Afro-brésilien historien et journaliste, qui est en quête de son histoire familiale et ancestrale et qui cherche les traces de l’africanéité dans le Brésil d’aujourd’hui. Il y est question là aussi d’oubli, de discrimination, de relégation du passé et de la construction brésilienne moderne sur les ravages de l’esclavage. L’autre récit est celui de Sidia Diop, fils de la reine Ndatté Yalla Diop, qui combat l’envahissement colonial sur les terres africaines au XIXe siècle jusqu’à l’exil et la mort dans l’oubli.

Vous-êtes panafricaniste, écrivain poète engagé... Comment cet engagement et cette pensée panafricaine se traduisent-ils dans cette nouvelle publication qui évoque le passé esclavagiste et colonial ? 
Oui, c’est exact, je suis un écrivain, un poète engagé qui m’inspire de la pensée panafricaine car ce sentiment de réhabilitation du patrimoine culturel africain m’habite en permanence ; je le porte en bandoulière. Je me refuse d’être dans l’auto-flagellation et je cherche à reconstruire, par la littérature, ce qu’on nous a enlevé et qui me semble capital de dire, de révéler. Par ces récits, je veux foudroyer les discours mensongers qui continuent, hélas, de courir sur le monde noir ; je veux mettre à terre l’histoire fabriquée par les intérêts de l’Occident et qui n’est pas notre réalité. Je suis de ceux qui pensent que l’Afrique sortira de l’enlisement quand les uns et les autres auront définitivement compris qui nous sommes profondément. Quelles sont nos valeurs ? quels sont nos rêves ? De quoi est fait notre imaginaire, notre pensée, tous ces segments fondamentaux qui constituent une civilisation ? Je me place dans cette affirmation de nous-mêmes, de notre culture véritable, pour replacer les enjeux contemporains qui indiquent que l’Afrique est le continent phare du XXIe siècle. Mais, pour cela, nous devons nous réapproprier nos valeurs démocratiques, humanistes, culturelles et citoyennes pour regarder en face les soleils de notre renaissance et fonder nos espoirs sur une image positive que nous portons sur nous et qui peut porter le monde en mutation.

Êtes-vous donc optimiste ? 
Je suis un Afro-optimiste et la poésie qui est une forme sensible de la lucidité me porte au-delà des contradictions, au-delà des bouleversements quotidiens et de l’immense tâche que nous avons encore à mener !

Propos recueillis par Ibrahima BA

En privé avec Amadou Elimane Kane : "Trump est un idiot béni"

Cette interview a été publiée dans le journal EnQuête du 18 janvier 2018

Poète, romancier et auteur prolifique, Amadou Elimane Kane vient de sortir le troisième roman de sa dernière trilogie romanesque intitulé ‘’Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil’’. Dans cet entretien avec EnQuête, il revient sur ses trois derniers ouvrages qui traitent de questions liées à l’Afrique. Pour ensuite donner son point de vue sur le discours de Trump.

Pouvez-vous nous parler de la dernière trilogie que vous venez de faire paraître ?

C’est une trilogie qui s’inscrit dans la dynamique de l’appropriation et de la réappropriation de notre patrimoine culturel. Le premier ouvrage sorti dans ce sens est ‘’Moi, Ali Yoro Diop ou la pleine lune initiatique’’. Ali Yoro Diop est un homme qui a vécu pendant la période coloniale et qui s’est opposé aux colons. Ce qui est consécutif à une situation d’injustice et il a proposé aux uns et aux autres la justice universelle. Pendant cette période, comme vous le savez, la vérité était souvent écrasée et Ali Yoro a été présenté comme un malade mental. Pour aujourd’hui faire signifier à la postériorité qui était Ali Yoro Diop, toujours dans cette dynamique de la réécriture de notre récit, j’ai fait immerger son histoire. Ainsi, je montre qu’Ali Yoro Diop était un homme normal, digne et qui se battait tout simplement pour la justice.

Le deuxième ouvrage de cette trilogie est ‘’Moi, Rokhaya Diop ou la négresse fondamentale qui déplie le temps’’. Au moment où les uns et les autres parlent de fortes vagues migratoires, j’ai voulu leur montrer que tout réside dans le travail et l’exigence. Les uns et les autres, nous sommes tous capables de... J’ai donc voulu montrer, dans ce deuxième volume, qu’un émigré est capable de… comme tous les autres êtres.

Dans le troisième, c’est Sidia. Dans ce livre aussi, j’ai voulu montrer que, souvent, on a caricaturé notre histoire. Ce dernier était un homme intègre, qui se battait pour la dignité humaine. Sidia est aussi le fils d’une de nos grandes reines, Ndatté Yalla, qui a été exilée au Gabon où elle est décédée. J’ai eu le souci de réexpliquer à la postérité qui était Sidia et l’inscrire dans ce que j’appelle la justice cognitive.

Quel est le rapport entre ces trois personnages, de manière précise ?

Le lien est que tous ces personnages se sont battus pour la dignité humaine, la justice, la fraternité et l’égalité. Ils ont porté aussi ces belles valeurs africaines de Ubuntu. Ces dernières qui ont été portées dans la Charte du Mandé, l’Almamia de Souleymane Baal et Abdel Kader Kâne. J’avais donc cette forte envie de montrer qu’à partir de cette femme, Rokhaya, et de ces hommes, Sidia et Ali Yoro Diop, que l’Afrique avait de belles valeurs, qu’elle avait des choses à enseigner sur les questions humaines, qu’elle avait des choses à partager avec l’humanité. La culture africaine peut être utilisée comme un outil de compréhension de l’humain.

Ce n’est pas votre première trilogie. Vous en avez fait bien d’autres. Pourquoi sortir toujours trois livres ainsi ?

C’est parce que tout simplement j’ai toujours envie d’aller jusqu’au bout de mes interrogations et c’est ce qui fait que j’aime les trilogies. D’ailleurs, c’est le cas dans tous les domaines. Que cela soit au niveau de la pédagogie, de la poésie, du roman, je procède toujours de cette manière. Je pose toujours le premier, ensuite il m’en faut un deuxième puis un troisième. C’est tout simplement une question de responsabilité et d’assumer ma réflexion en allant jusqu’au bout.

Vous êtes un auteur prolifique. Qu’est-ce qui fait parler votre muse ?

C’est toujours le fait de contribuer à la réécriture de l’histoire africaine, du récit africain qui me porte, qui est ma muse. Je travaille pratiquement pendant 56 ou 57 heures par semaine. Tout ceci est le fruit de ces valeurs qui m’habitent et qui sont des valeurs de savoir, de travail et de justice.

Pourquoi vos thématiques sont toujours liées au continent noir, au-delà du fait que vous êtes africain ?

Je viens de ce continent, comme vous dites, et avec la mondialisation aujourd’hui, c’est à nous de faire signifier ce que nous sommes et ce que nous avons. C’est dans ce souci-là et également par-delà s’inscrire dans une dynamique humaine. Qu’on soit en Europe, en Amérique ou en Afrique, en dernière instance, nous sommes tous des êtres humains.

Aek quotidienAu moment où certains pensent que c’est aux puissances étrangères d’aider l’Afrique à se développer, vous, vous restez convaincu que le développement du continent se fera par ses fils. Qu’est-ce qui devrait être fait pour que l’Afrique se relève ?

Pour cela, je vais le redire encore, il nous faut porter la réécriture de notre récit, du récit africain, parce que nous y avons tellement de choses extraordinaires. Nous avons tellement de choses à partager et à faire partager. Aujourd’hui, quand on observe tout autour de l’Afrique, quand on voit ce qui se passe en Occident, on se rend compte que l’Occident est traversé par une crise morale, intellectuelle et même métaphysique. Regardez cependant l’Afrique. Malgré les conditions dans lesquelles les uns et les autres vivent, l’Afrique est toujours dans cette dynamique d’harmonie, de fraternité. Il y a des valeurs africaines telles que celles Ubuntu, c’est-à-dire ‘’je suis parce que tu es’’.

En voilà des valeurs que nous, nous devrions porter pour pouvoir aider l’humanité et la faire sortir de cette période de barbarie. Vous avez récemment entendu des discours barbares comme celui de Donald Trump sur ces hommes qui se déplacent. Ce que Trump oublie, c’est que depuis que l’humanité existe, les hommes se sont toujours déplacés en fonction des besoins moraux, économiques, politiques. La culture africaine a ses outils-là de compréhension. C’est pour cela qu’aujourd’hui, moi je suis de ceux qui pensent que l’Afrique peut aider l’Occident. L’Afrique peut faire sortir l’Occident de cet impasse où, on le sait, tout tourne autour du matériel. L’Occident a oublié que c’est l’humain qui fabrique le matériel. Cependant, chez nous, nous n’avons pas encore oublié cela. On continue à vivre de manière très belle et on sait que c’est nous autres, l’humain qui est au centre. C’est cette valeur que j’ai envie de partager.

Que vous inspire le personnage de Trump ?

Les discours de Trump n’ont plus lieu d’être, dans la mesure où on sait, avec tous les outils dont on dispose, qu’il n’y aucune vie qui est supérieure à une autre, qu’un homme qui pense être au-dessus d’un autre homme est un homme aliéné. Comme aussi un homme qui pense être en dessous d’un autre est un homme aliéné. Pour moi, Trump est un idiot béni, tout simplement. Il est comme Bokassa, pour moi, parce que pendant très longtemps, on a caricaturé l’Afrique à partir de certains de ses dirigeants. C’est pour montrer le peuple qu’on est, ce sont des moments de faiblesse et aussi des moments de force. Et aujourd’hui, le peuple américain est en train de traverser des moments de faiblesse.

Avoir un président de cet acabit, je suis désolé, ça me fait penser à nous, à l’époque, avec notre Bokassa qui, effectivement, racontait aux gens des bisbilles. Aujourd’hui, c’est pour dire en fait qu’il n’y a pas qu’en Afrique qu’on note des régressions. Même là, je peux convoquer à un moment la France où il y a eu des hommes comme Sarkozy. Pour moi, ce sont des périodes de régression, il faut oser le dire. On nous a tellement installés dans l’auto-flagellation, dans la négation qu’on n’analyse pas, comme disait l’autre poète, que tout ce qui est humain ne nous est pas étranger. Ce qui se passe chez nous, se passe ailleurs également. Elles peuvent être des choses belles comme elles peuvent être laides. 

 Propos recueillis par BIGUE BOB

Humeur : Amadou Elimane Kane contre les dirigeants occidentaux : Sarkozy, Macron, Trump, les "idiots" bénis du monde

Amadou Elimane Kane, écrivain poète, vient de publier le dernier volume de sa trilogie romanesque consacrée à l'histoire de l'Afrique. Dans un entretien avec les journalistes, il a parlé de  son travail et s'est indigné des propos tenus par les dirigeants occidentaux sur le continent africain. 

Retrouvez en détail l'article de Alïssatou LY publié dans le journal Le quotidien du 17 janvier 2018 : Humeur avec Amadou Elimane Kane contre les dirigeants occidentaux : Sarkozy, Macron et Trump, les "idiots" bénis du monde

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Amadou Elimane Kane : la citoyenneté et la renaissance africaine doivent être nos priorités

Cette interview a été publiée dans le journal Le quotidien, rubrique "Horizons", le 9 janvier 2018 Aek 5

De retour de Rabat au Maroc où il a collaboré à la résidence artistique Ubuntu avec des artistes plasticiens sénégalais et sous la direction de Zulu Mbaye, Amadou Elimane Kane, écrivain poète, enseignant et chercheur, éditeur et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de Recherche de Yene, revient au Sénégal pour une nouvelle actualité littéraire. Selon lui, la démarche panafricaine, afin de poursuivre la renaissance culturelle et historique, est plus que nécessaire pour bâtir le nouveau récit africain. De même, il avait envie de s’exprimer sur l’actualité dramatique qui se déroule en Libye, de revenir sur quelques aspects historiques de notre mémoire autour de l’esclavage et aussi d’apporter sa réflexion sur un aspect économique, celui de la disparition du franc CFA. 

1- Après la publication de plusieurs ouvrages en 2017, à la fois en tant qu’auteur et en tant qu’éditeur, vous vous apprêtez à publier un nouveau roman Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil. De quoi est-il question dans ce nouvel ouvrage ? 

Amadou Elimane Kane : Il s’agit du dernier volume romanesque consacré à la trilogie qui met en scène des personnages à la fois réels et imaginaires, des figures héroïques qui nous parlent de notre histoire. Vous savez, je crois toujours, malgré les horreurs auxquelles on assiste, à la force de la littérature pour dénoncer les injustices et pour rétablir certaines vérités longtemps écartées de nos trajectoires. Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil raconte deux histoires qui s’entrecroisent dans le temps et dans l’espace, celle du Brésil d’aujourd’hui qui porte les traces des racines africaines à travers les épisodes liés à l’esclavage transatlantique et celle du Sénégal du XIXe siècle avec le combat de Sidia Diop, un militant de la cause panafricaine qui a résisté, jusqu’à l’exil, à la colonisation française. J’avais envie de rassembler ces deux histoires, au moyen de la fiction, pour faire exister ce patrimoine historique trop souvent oublié. 

2- Donc dans ce nouvel ouvrage, vous proposez, en quelque sorte, une nouvelle écriture de l’histoire africaine ? 

Amadou Elimane Kane : Absolument ! Mais je ne me considère pas le seul à le faire… Je n’oublie pas tous ceux qui, dans le passé, ont contribué à rétablir notre réalité historique. Je pense à eux, leur travail m’inspire, tous les défenseurs de la justice noire, Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Léopold Sédar Senghor, Nelson Mandela, tous les acteurs qui ont marqué notre histoire et qui continuent de le faire. Je crois que nous avons viscéralement besoin d’hommes engagés et courageux, qui refusent l’assimilation et la pensée unique, des hommes attachés à la liberté des peuples, à la justice cognitive, aux valeurs fondamentales humaines, pour dire, non seulement la réalité historique et culturelle de l’Afrique, mais aussi pour l’écrire. Cet espace de rétablissement culturel, de réflexion, de dépassement idéologique et de progrès manque cruellement aujourd’hui en terre africaine. 

3 – Pour écrire vos romans, comment faites-vous pour choisir les épisodes de notre histoire que vous voulez revisiter ? 

Amadou Elimane Kane : Ah, je suis en perpétuelle recherche de ce qui pourrait faire sens dans notre monde contemporain. Comme je suis poète, tout m’écorche et me révolte d’une certaine manière. Qu’est-ce que je peux faire pour apaiser et raviver l’espérance ? De quoi avons-nous besoin réellement pour avancer ? Et comme c’est du domaine de mes compétences, je réécris nos histoires pour faire jaillir toutes les incohérences qui subsistent, pour dire mes indignations, pour révéler nos beautés, nos forces, nos épopées magnifiques qui font partie de notre patrimoine ancestral. Tout cela constitue mon engagement, ma vie. Sinon, pour répondre à votre question, je me questionne beaucoup, j’engage une réflexion sur le long terme pour former une continuité esthétique et littéraire. Je lis sans cesse, je me documente énormément, je passe au crible les textes littéraires qui ont dit des choses que je peux détourner, réinventer pour répondre à notre problématique contemporaine qui est, à mon sens, la mise en oeuvre d’une renaissance africaine citoyenne et éclairée. Pour ce dernier livre, j’ai d’ailleurs fait appel à un de nos grands professeurs qui enseigne au départ d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, Abderahmane Ngaïde et qui a écrit la postface du livre, en apportant son regard d’historien et qui soulève la question de la fiction, de la réalité, de l’archive, du document, du temp réel et imaginé, des domaines qui éclairent intelligemment l’écriture. 

4- En écrivant sur l’histoire de l’esclavage, que pensez-vous de ce qui se passe actuellement en Libye sur le sort des migrants  ? 

Amadou Elimane Kane : Je suis foudroyé, choqué, révolté. C’est une véritable honte ! Nous n’en avons pas encore terminé alors que l’esclavage est reconnu comme crime contre l’humanité. Cela prouve que toutes les causes de l’injustice sont perpétuellement à combattre. Quand j’écris un livre comme Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil, c’est avant tout pour dire que cela ne doit plus se produire et malheureusement, cela se perpétue encore à notre époque. C’est une régression totale du genre humain et je parle de ceux qui le pratiquent. Il y a la Libye, mais aussi la Mauritanie qui continue à avoir ce genre d’avilissements inhumains. On a souvent parlé du commerce transatlantique opéré par les Occidentaux mais qu’a-t-on dénoncé de l’esclavagisme arabe qui lui est antérieur ? Il semble que nous soyons dans une sorte de déni et encore aujourd’hui. Et que dire des autres enclaves où les migrants sont pris en étau, par l’Occident qui ferment ses frontières européennes, par les esclavagistes et par certains dirigeants africains qui s’en lavent les mains. Selon moi, c’est un scandale planétaire et qui n’a pas encore le retentissement que cela devrait avoir. L’ONU condamne mais que fait-elle concrètement pour que cela cesse ? L’Occident condamne mais que fait-il à part repousser les migrants au nom d’une législation qui défie toutes les conventions humaines de la ligue des droits de l’Homme ? Et que dire de ces dirigeants africains qui laissent leur pays sombrer et qui envoient ces jeunes migrants dans les mains de  ces tortionnaires du XXIe siècle ? Que dire de nous-mêmes qui sommes là à attendre ? Il a fallu qu’une chaîne américaine filme cette horreur pour que le monde prenne conscience de ces ignominies d’un autre siècle. Je pense à la phrase de Nelson Mandela qui dit dans son livre Un long chemin vers la liberté que « un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit ». Voilà ce que je pense de ces hommes qui nous assassinent et que le monde regarde, impuissant, comme s’il n’y avait rien à y faire. 

 

 

5- Que proposez-vous que l’on fasse ? 

Amadou Elimane Kane : Il faut condamner fermement et pas seulement faire des déclarations d’intention. Interdire et condamner ces pratiques avec les lois qui régissement la communauté internationale. Je pense à l’Union Africaine qui doit se mobiliser et renforcer la justice et rétablir les droits fondamentaux des peuples et des migrants. Dans le monde dans lequel nous sommes, de voir ces images n’est plus acceptable. Je crois aussi que nous devons bâtir, et c’est notre priorité, au coeur du mouvement de la renaissance africaine, la citoyenneté africaine pour garantir justement l’immunité de ces hommes qui fuient la misère et les guerres. Car vous savez, je crois toujours, et viscéralement, à notre avenir africain, à notre possibilité de vivre en harmonie avec les richesses que nous avons et pour faire vivre la croissance qui est la nôtre. Il faut encore que nous constituons un continent uni, fédéré, solide qui s’entende sur les principes fondamentaux de la dignité humaine, de la suffisance alimentaire, de la santé, de l’éducation, de la citoyenneté. Si nous voulons vivre convenablement et faire vivre nos espaces durablement, nous devons construire des remparts qui protègent tous les citoyens dans un cadre d’unité et de solidarité. 

6- Et que pensez-vous du débat économique actuel sur la nécessité de voir une nouvelle monnaie remplacer le franc CFA  ? 

Amadou Elimane Kane : Je suis bien sûr favorable à la création d’une monnaie indépendante africaine pour les zones de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest. Cela rejoint d’ailleurs  mon propos sur l’idée d’un nouveau récit culturel africain qui engage la refondation de nos systèmes politico-économiques et nos institutions. Comment imaginer, encore aujourd’hui, que notre économie soit ligotée et gouvernée par des forces extérieures ? Cette monnaie existe depuis 70 ans et contrôle toujours 15 pays d’Afrique. N’oublions pas non plus que cette monnaie signifie Franc des colonies françaises d’Afrique ! Ce qui n’a plus de sens aujourd’hui, à l’exception de nous maintenir sous l’escarcelle de la France qui a elle-même abandonné le franc ! C’est un frein considérable à notre économie, cela empêche nos exportations à cause de l’ajustement avec l’euro et nous endette de manière catastrophique. Cela ne profite qu’aux investisseurs étrangers et à la Banque de France qui continue d’imprimer nos billets. Autrement dit, c’est encore la France qui décide de notre survie. Si l’on veut parvenir à une réelle émancipation qui décolonialise à la fois notre économie et nos esprits, nous allons devoir créer notre propre monnaie d’échange. Mais cela passe par une réforme structurelle profonde de l’économie globale africaine qui exige du courage de la part des élites et des dirigeants pour conduire cette mutation qui, elle-seule, pourra rétablir l’équité monnétaire et économique pour favoriser l’émergence réelle de notre croissance annoncée. 

7- En novembre dernier, vous vous êtes rendu à Rabat au Maroc dans le cadre de la coopération africaine et de la résidence artistique Ubuntu, en compagnie de plusieurs artistes plasticiens sénégalais, projet orchestré par Zulu Mbaye, comment cela s’est-il passé ? 

Amadou Elimane Kane : Très bien ! C’était très intéressant et enrichissant. Nous étions invités dans le cadre de la coopération entre le Maroc et le Sénégal, invités par le Roi Mohammed VI pour célébrer nos liens fraternels. Avec les artistes plasticiens Kiné Aw, Sérigne Ndiaye, Assane Dione, Mouhamad Baba Ly, Sandiry Niang et Zulu Mbaye, nous avons participé à la célébration de la marche verte, celle du 6 novembre 1975 où les marocains se sont rassemblés pacifiquement pour libérer le Sahara marocain, un acte profondément panafricain, décidé par le roi Hassan II. C’était très puissant et très émouvant. Nous étions à Rabat également pour produire une œuvre artistique et pour exposer nos travaux au sein de l’université internationale marocaine où nous étions recus. Ce qui est extraordinaire, c’est que nous étions rassemblés autour de nos valeurs africaines, toutes générations confondus, à travers une thématique artistique plurielle, cela m’a vraiment touché. Les jeunes artistes présents et très talenteux ont produit des toiles magnifiques et j’ai écrit des textes poétiques, avec mon ami poète, Thierno Seydou Sall. Nous avons pu également rencontrer des étudiants sénégalais et échanger avec eux autour de l’éducation, des arts, de la transmission et de la continuité culturelle. C’est à cela que je continue de croire mais il faut nous donner les moyens pour inonder nos terres de cette espérance. 

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8- Quelles sont vos projets et vos perspectives pour 2018 ? 

Amadou Elimane Kane : Dès janvier, je ferai la promotion de mon nouveau livre Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil. Puis avec la maison d’édition, nous avons aussi le projet d’une autre publication, celle d’Isabelle Chemin qui a écrit un essai littéraire consacré à mes travaux d’écriture et qui s’intitule Amadou Elimane Kane ou l’imaginaire de la Renaissance africaine, c’est une belle initiative que j’ai envie de porter. Je vais aussi poursuivre la partenariat avec l’académie de la Guadeloupe où j’étais l’invité d’honneur en mars dernier pour un hommage au poète Guy Tirolien. J’ai pu y rencontrer des poètes mais aussi des étudiants et des professeurs. J’espère pouvoir organiser un échange culturel et pédagogique en terre sénégalaise à l’Institut Culturel panafricain de Yene. Je suis aussi invité de nouveau au Maroc, dans le cadre des journées culturelles sénégalaises, organisées par les étudiants. Puis à la rentrée scolaire de 2018, nous avons le projet d’une résidence artistique et culturelle pour l’académie de Paris en France. Vous voyez, que de belles choses qui me font vibrer ! Voilà mes souhaits pour 2018, ceux d’assurer la continuité culturelle pour valoriser notre patrimoine et notre créativité. 

Propos recueillis par Gilles Arsène TCHEDJI

Moi, Ali Yoro Diop ou la pleine lune initiatique, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, août 2016

Moi, Rokhaya Diop ou la négresse fondamentale qui déplie le temps, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, février 2017

Moi, Sidia Diop ou l’astre d’espérance de la Sénégambie au Brésil, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, à paraître en février 2018

Amadou Elimane Kane ou l’imaginaire de la Renaissance africaine, Isabelle Chemin, essai, éditions Lettres de Renaissances, à paraître en février 2018

 

Ndongo Mbaye : Nous sommes en pleine déliquescence de l'éthique

Ndongo Mbaye, sociologue et écrivain-journaliste, a animé une conférence sur "L'éthique, la confiance et l'engagement" à l'IAM de Dakar. Au cours de cette rencontre, il a évoqué plusieurs ouvrages, Une si longue parole d'Amadou Elimane Kane, le texte de Thierno Souleymane Baal et la Charte du Mandé pour inciter à un retour aux sources et au partage des valeurs africaines. 

Retrouvez en détail l'article publié sur le journal Le quotidien du 6 janvier 2018 : Ndongo Mbaye, sociologue et écrivain-journaliste : Nous sommes en pleine déliquescence de l'éthique

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